Gérer un restaurant, ce n’est pas seulement proposer une cuisine qui sort du lot et offrir un service de qualité. Un aspect souvent négligé mais crucial réside en la manière dont on présente et fixe les prix des plats sur sa carte. Ahmed Benlmouaz, consultant et coach spécialisé pour le secteur Horeca, a développé une méthode simple et efficace pour aider les gestionnaires d’établissements à rendre leurs menus plus rentables et attractifs.
Plus qu’une simple liste de plats
Un menu, “c’est comme la carte au trésor de votre restaurant”. Il guide vos client.e.s à travers les choix que vous proposez et influence directement ce qu’ils ou elles vont commander. Ahmed Benlmouaz explique que bien organiser celui-ci, c’est “un peu comme jouer à un jeu de stratégie” : il faut comprendre ce que veulent vos client.e.s tout en faisant attention à vos coûts.
L’ouverture de gamme
Ce premier principe consiste à maintenir une cohérence dans la gamme des prix. Le prix le plus élevé d’une catégorie (par exemple les entrées) ne doit pas dépasser 2,5 à 3 fois le prix le plus bas de cette même catégorie. Une technique qui rendra votre menu plus cohérent et évitera de dérouter vos client.e.s. Par exemple : le prix le plus élevé d’une entrée est de 23€ , le plus bas est de 10,50€ . 23÷10,50 = 2,19. Votre gamme est équilibrée et la cohérence de vos prix a un effet positif sur le consommateur.
La dispersion des prix
Ce deuxième axe implique une segmentation des plats en gammes de prix bas, médians et hauts. L’objectif est de s’assurer que la gamme médiane contient autant voire plus d’options que les gammes basses et hautes combinées. “Cela permet d’encourager les client.e.s à choisir des plats situés dans la fourchette de prix médiane, où la rentabilité est souvent optimale”, avertit Ahmed Benlmouaz.
Mettez en avant les plats qui cartonnent
Le rapport demande/offre
Le rapport entre le prix moyen demandé (chiffre d’affaires/nombre de couverts) et le prix moyen offert (somme des prix de vente/nombre de couverts) est essentiel pour aligner la perception des client.e.s avec l’offre de l’établissement. Ce ratio, s’il est compris entre 0,95 et 1, indiquera un bon équilibre. Tandis qu’un ratio inférieur montrera que les prix sont trop élevés par rapport à la demande. Un ratio supérieur suggérera que les plats les moins chers sont surreprésentés dans les ventes.
Popularité et profitabilité
Ce dernier principe se concentre sur la classification des plats en fonction de leur popularité et de leur profitabilité. Les plats sont classés en quatre catégories : les “Stars” (populaires et rentables), les “Horses” (populaires mais moins rentables), les “Puzzles” (rentables mais moins populaires) et les “Dogs” (ni rentables ni populaires). Ce diagnostic permet de prendre des décisions éclairées sur les plats à promouvoir ou à retirer du menu. Ahmed conseille de mettre en avant les “Stars” sur sa carte, comme on mettrait en avant les meilleures offres dans une publicité : “Mettez en avant les plats qui cartonnent”, glisse-t-il. Pour les plats moins populaires ou moins rentables, une réflexion approfondie sera nécessaire pour évaluer si vous les gardez, les améliorez ou les retirez tout simplement du menu.
À éviter absolument :
→ Les menus via QR Code
Une option peu impactante qui n’optimise pas l’efficacité et la rentabilité de votre carte. “Le menu défilant sur smartphone dilue l’attention, les client·e·s scrollent et ont du mal à scanner correctement l’offre”, prévient Ahmed Benlmouaz.
→ Les cartes à rallonge
Ahmed Benlmouaz alerte : “Il faut absolument éviter les cartes trop longues avec une multitude de références. Cela dilue l’attention des client.e.s et entraîne des pertes financières, car il est difficile de gérer efficacement un large éventail de plats”.
→ La vente passive
Le service ne s’apparente pas à seulement prendre une commande. Pour mettre en valeur vos prix, il faut savoir les justifier : “Appliquez la vente active, allez titiller vos client·e·s. Conseillez-les, réconfortez-les, vendez-leur un peu de rêve”, avertit Ahmed.
Proposer un menu à la fois rentable et durable, est-ce compatible?
Une carte à la fois respectueuse de l’environnement et financièrement viable est-elle imaginable ? Et si l’avenir de la restauration passait finalement par la combinaison de ces deux enjeux majeurs ? Les réponses de deux consultantes expertes.
Moins de gaspillage, plus de rentabilité
“Le point de départ pour créer une carte durable mais aussi rentable, c’est de gaspiller le moins possible”, insiste Line Couvreur, pionnière de l’alimentation durable à Bruxelles et initiatrice du projet “Les Filles”. Aujourd’hui elle transmet son savoir en tant que consultante. Pour réussir le combo parfait entre rentabilité et durabilité, elle propose de créer des ponts entre les différents éléments du menu, en utilisant un minimum de marchandises pour un maximum de préparations différentes. “Par exemple, les chutes d’une pièce de viande peuvent servir à préparer un bouillon, qui sera lui-même utilisé dans une autre recette, les fanes de carottes seront transformées en pesto, et ainsi de suite… Avec ces techniques, je parviens à réduire les coûts tout en respectant l’environnement. Cela permet en outre de simplifier les commandes, de réduire les stocks et de mieux gérer les approvisionnements”, détaille-elle.
Une gestion rigoureuse des coûts
Également consultante en alimentation durable, Noémie De Clercq partage cette vision. Elle prévient néanmoins que beaucoup de professionnel·le·s de l’Horeca échouent à être rentables non pas parce que la durabilité est coûteuse en soi, mais parce qu’ils ne savent pas comment bien gérer leurs coûts. “Les personnes qui se lancent dans la durabilité sans bien faire leurs calculs courent à l’échec”, souligne-t-elle. Une gestion rigoureuse des coûts, associée à une flexibilité dans l’approvisionnement et l’élaboration des plats, est donc essentielle pour réussir ce pari.
Le menu imposé et ses limites
Le concept de menu unique a énormément gagné en popularité ces dernières années, notamment dans les établissements bistronomiques. Un modèle qui présente l’avantage d’optimiser les achats, la gestion des stocks et le food cost. En concentrant les efforts sur un nombre restreint de plats, il devient plus facile de garantir la qualité tout en réduisant le gaspillage.
Le compromis pourrait être de proposer une carte restreinte, avec quelques choix bien pensés
Cependant, Line Couvreur met en garde contre les limites de ce modèle. “Imposer le même menu à tous les client.e.s n’est pas toujours idéal, car tout le monde n’a pas envie de manger la même chose ou un menu complet”, précise-t-elle. “Le compromis pourrait être de proposer une carte restreinte, avec quelques choix bien pensés, plutôt qu’un menu imposé”, souffle-t-elle.
Si l’idée de partager des plats peut sembler séduisante, elle peut aussi devenir contraignante pour les clients
Noémie Declercq, de son côté, voit dans la flexibilité un élément clé pour les restaurants qui veulent rester durables tout en s’adaptant aux aléas de l’approvisionnement. “Travailler avec des producteurs locaux et durables implique de pouvoir s’adapter à ce qu’ils peuvent livrer, et donc d’être capable de changer son menu en fonction de la disponibilité des produits”, explique-t-elle.
Le food sharing, une tendance difficile à gérer
Le food sharing, vous l’aurez certainement remarqué, s’est lui aussi imposé comme une tendance majeure. Une approche qui permet de réduire le gaspillage en proposant des portions plus petites et variées. “Le food sharing permet de limiter le gaspillage alimentaire en étant réactif et en s’adaptant à ce que le producteur peut livrer”, explique Noémie Declercq. Toutefois, elle reconnaît que cette formule peut devenir moins rentable si les client.e.s “ne consomment pas suffisamment ou si le concept n’est pas bien géré”.
Line Couvreur note également que le succès du food sharing dépend beaucoup de la manière dont il est mis en œuvre. “Si l’idée de partager des plats peut sembler séduisante, elle peut aussi devenir contraignante pour les client.e.s, notamment lorsque les portions ne sont pas adaptées au nombre de convives”, avertit Line Couvreur.
Créer un menu à la fois rentable et durable nécessite donc une réflexion approfondie sur la gestion des ressources, la flexibilité dans l’approvisionnement et l’élaboration des plats, ainsi qu’une bonne connaissance des coûts. La clé réside dans l’équilibre : proposer des plats de qualité, en quantité raisonnable, tout en minimisant le gaspillage et en maximisant la rentabilité.
Quand saisonnalité rime avec rentabilité
Opter pour des produits de saison peut optimiser la rentabilité tout en renforçant l’image d’un établissement. Un choix qui permet d’innover régulièrement sur sa carte, de fidéliser les client.e.s avec des plats de qualité et de réduire les coûts des matières premières grâce à de meilleures conditions d’achat.