Avez-vous déjà entendu parler du low-no ? Cette tendance du peu (« low ») ou pas (« no ») d’alcool prend sa place et favorise une culture de consommation innovante et responsable. Opportunité ou défi, les gestionnaires d’Horeca et entrepreneur.se.s entament leur évolution pour répondre à cette demande croissante. Prêt.e.s à devenir acteur.rice du changement ?
Par Romane Henkinbrant
Se serrer les coudes
Quand deux ex-cavistes prennent le virage du « no » au Coude-à-Coude, ça donne un mouvement inclusif qui vise l’accessibilité du sans alcool dans la bistronomie et les milieux festifs. Rencontre.
Anciennement propriétaires d’un bar à vins parigot, Claire Deville et Gaëlle Raux y ont bu les 400 coups. « C’est comme ça que j’ai commencé à boire de l’alcool », explique Claire. « J’ai passé une jeunesse assez sobre et quand je me suis passionnée pour le vin, ça été la spirale. On avait 5 références à l’ouverture et 200 à la fermeture, 6 ans plus tard ».
C’est d’abord Gaëlle qui a sauté le pas de l’abstinence. « Elle a toujours
beaucoup bu, depuis très jeune, et elle a décidé qu’elle ne voulait plus d’alcool dans sa vie. Au début j’étais sceptique, attentive, curieuse. On a commencé à se poser de nombreuses questions : c’est quoi, boire de l’alcool ? Quels sont les effets sur le cerveau ? Faut-il se réguler ou arrêter ? C’est un positionnement qui force les gens à s’interroger sur leur propre consommation, c’est pour ça qu’arrêter de boire est aujourd’hui encore si mal perçu ». Suite à quelques
déboires personnels et un covid agressif, Claire a rejoint le mouvement : « Je n’ai pas vraiment arrêté, je n’ai juste jamais repris ».
Les deux amies se sont rapidement confrontées à la réalité du manque d’options : « Les personnes ne consommant pas d’alcool sont les grandes oubliées des endroits de sociabilité. Rien n’est fait pour les adultes qui ne boivent pas. On te propose systématiquement un Perrier, un Coca Cola ou un jus de fruit ». Pour leurs palais ultra-éduqués de sommelières, c’est un calvaire. « J’avais peur de perdre mon rapport à la gastronomie. Je me suis dit que ça allait être l’ennui dans ma bouche ».
Pourtant, cet élan d’abstinence prend de l’ampleur. On le constate
notamment dans l’augmentation du nombre de produits sans alcool et du marketing associé, mais également de la clientèle. « On est à une époque où l’on se pose pas mal de questions et où l’inclusivité est un vrai dossier. On parle de féminisme, de racisme, de validisme… On s’interroge sur comment vivre ensemble, car il y a actuellement d’énormes zones de frictions, et ce mouvement s’inscrit dans cette continuité. Il y a 1001 raisons de ne pas boire d’alcool, c’est très personnel. Il faut arrêter d’appeler minorité une partie de la population si substantielle. Il est temps que leurs besoins soient pris en compte. L’Horeca est un secteur d’activité qui, s’il ne veut pas disparaître, doit s’adapter à son temps et à sa clientèle ».
“Rien n’est fait pour les adultes qui ne boivent pas.”
Aujourd’hui, toute l’économie de l’Horeca est basée sur l’ivresse des gens. Pour s’adapter aux nouvelles demandes, il faudrait repenser le système de A à Z. Que serait une structure dite vertueuse, qui ne fait pas son gras sur celles et ceux qui consomment de l’alcool ? Et comment la construire ?
C’est ainsi qu’est né Coude-à-Coude, un mouvement collectif pour l’inclusion du sans alcool dans la bistronomie et les milieux festifs. « Ce n’est pas un mouvement hygiéniste », insiste Claire. « Par contre, déconstruire les codes, la pression sociale, et faire société ensemble, ce sont des thématiques qui nous intéressent ».
L’idée derrière Coude-à-Coude ? Ouvrir une grande discussion collective, recueillir des témoignages de consommateur.rice.s et d’acteur.rice.s Horeca, offrir de la visibilité à des initiatives positives et inclusives et proposer des solutions pour faciliter l’intégration du sans alcool dans son établissement. L’objectif à long terme ? « Recenser les établissements qui sont dans cette posture, qui décident de mettre autre chose à la carte et qui le font avec conscience, c’est-à-dire en portant les valeurs qui y sont associées, et créer un label pour les valider ».
Défis et opportunités
Intégrer des alternatives low-no dans son offre présente de belles opportunités mais également certains défis à considérer.
En effet, les gérant.e.s d’établissements Horeca sont déjà en flux tendu en termes de personnel et n’ont pas toujours la possibilité d’assumer la charge de travail supplémentaire pour rechercher, préparer et stocker les ingrédients spécifiques. Les adaptations logistiques, incluant l’achat de réfrigérateurs dédiés et l’organisation de processus efficaces, peuvent également représenter des défis chronophages. D’autre part, il n’est pas toujours aisé de percevoir la plus-value économique de ce type de produits.
Pourtant, la création de boissons maison (kéfir, bissap, citronnade, thé
glacé, infusions de plantes froides, etc.) offre une marge bénéficiaire intéressante : « En tant que consommatrice, j’ai gardé le même pouvoir d’achat alors que je ne bois plus d’alcool », explique Claire. « La création de boissons maison demande un peu plus de travail mais ne coûte pas nécessairement cher et il y a une grosse marge à faire ». Cela offre également la possibilité de se démarquer et de renforcer l’image de marque, notamment en innovant dans des pairings, en développant des créations uniques et raisonnées (par exemple, en récupérant les déchets produits par la cuisine pour concevoir des boissons sans alcool) et en adoptant une approche plus éthique. L’introduction de ces options peut également contribuer à la sécurité dans le monde de la nuit en proposant des alternatives aux consommateurs, montrant ainsi un engagement envers le bien-être de la clientèle.
“Coude-à-Coude est un mouvement collectif pour l’inclusion du sans alcool dans la bistronomie et les milieux festifs.”
L’expérience de Benjamin Rauwel (Ivresse, Le Dillens) « Les boissons sans alcool, chez Ivresse, ont été une grosse révélation. Au début, on n’avait pas d’accord soft mais on sentait qu’il y avait une grosse demande. Depuis qu’ on a mis en place le pairing sans alcool et l’accord « bob » (un mix des deux), ça cartonne. C’est un gros avantage en termes de récupération : pendant les vacances, on travaillait la rhubarbe en cuisine et toutes les épluchures nous servaient pour faire des sirops, du kéfir, etc. On fait ça aussi avec les noyaux de cerises, des fleurs ou feuilles un peu fanées… Néanmoins, il ne faut pas négliger le travail : pour un menu 7 services, quatre soirs par semaine, ça nous prend environ 8h à confectionner et à réfléchir, parce qu’on recherche l’accord parfait avec le plat. Il ne faut pas non plus négliger le savoir-faire car cela demande certaines compétences : quelqu’un vient nous aider tous les mardis pour préparer l’accord. Au Dillens, on fait des préparations plus accessibles. Je pense que notre thé glacé à l’hibiscus est l’une des boissons les plus rentables de notre carte car les marges sont bien supérieures à celle d’un produit acheté tout fait, et la demande est bien présente ». |
Réussir l’intégration du sans alcool dans son établissement
- Intégrer au moins une bière sans alcool à sa carte, de préférence sélectionnée auprès d’un artisan local. « La boisson de l’apéro par excellence. C’est une alternative qui fonctionne pour pas mal d’abstèmes, qui ne coûte rien à mettre en place et qui change tout ».
- Former le personnel pour favoriser une atmosphère inclusive, exempte de jugement.
- Porter une attention particulière aux verres dans lesquels les boissons sont servies, afin d’éviter toute rupture sociale. Troquer les verres de cantine pour un service adéquat optimise le développement aromatique de la boisson et confère une ambiance festive, encourageant la cohésion sociale par le biais des gestes traditionnels de convivialité. Il est essentiel de dépasser la dichotomie entre ‘soft’ et ‘alcool’ et de choisir le contenant qui s’adapte le mieux au contenu.
- Oser être créatif et adapter les recettes à l’occasion. Par exemple, pour l’apéro, utiliser du gingembre, des piments, du poivre… qui, par leur puissance, peuvent procurer un sentiment d’ivresse.
L’expérience de Frederik da Soghe (Stammbar) « Nous avons introduit différentes bières et quelques « alcools » zéro à notre carte. Une partie de la clientèle est en recherche de ces produits. Nous servons également du sans alcool à celles et ceux qui ont dépassé une limite en termes de consommation. Les défis principaux sont les coûts, parfois plus élevés que l’alcool, mais également sensibiliser la clientèle au fait qu’un mocktail n’est pas juste un jus de fruits mélangé ». |
Vous avez des questions et souhaitez sauter le pas du sans alcool dans votre établissement ? Coude-à-Coude vous accompagne dans votre démarche. N’hésitez pas à contacter Claire et Gaëlle à l’adresse coudeacoude.orga@gmail.com. |
Les visages du low-no
Quelques entrepreneur.se.s bien inspiré.e.s se sont engouffré.e.s dans la niche du zéro pour développer des produits créatifs répondant aux codes festifs des boissons alcoolisées et convaincre une clientèle encore trop souvent oubliée.
Rish Kombucha
Après des études d’affaires européennes, un rapide saut dans les institutions et un revirement vers le secteur privé, Nouné Muradyan s’est installée en Amérique Centrale dans le cadre de son travail. Elle y a découvert le kombucha, une boisson fermentée encore inconnue au bataillon mais saine et savoureuse. Merci Covid, Nouné est finalement rentrée en Belgique et s’est lancée avec passion dans la production de ce breuvage vivant.
En plus de ses nombreux bienfaits, cet « élixir de vie » est une réponse à la pression sociale liée à la consommation d’alcool : « Il y a cette idée que pour passer un bon moment, il faut boire un verre », explique Nouné. « C’est vrai que l’alcool est festif et qu’il retire certaines inhibitions, mais c’est surtout devenu une norme dans notre société ». Combien de fois, un verre de jus de fruits ultra sucré dans les mains, avez-vous dû résister au sempiternel « juste un verre » ? Selon Nouné, « quand on a un verre de kombucha en main, plus personne ne pose de question ».
Il faut dire que le kombucha rassemble plusieurs caractéristiques propre à l’alcool : « Comme il s’agit d’une fermentation artisanale, la boisson a une complexité et une acidité qui rappellent celles du vin ou du champagne. C’est plus sophistiqué, plus raffiné, plus léger, et ça procure l’expérience gustative et sociale d’un verre d’alcool ».
Si vous êtes attentif.ve.s, vous trouverez de plus en plus régulièrement Rish à la carte de nombreux établissements : « Il est encore difficile de convaincre l’Horeca bruxellois que s’ils créaient l’offre, la clientèle serait présente. Les nouvelles générations sont de plus en plus attentives à la santé physique et mentale et sont donc très en attente de ce type de produits ».
La gamme de Rish se compose d’une sélection de kombuchas (original, hibiscus, gingembre et basil smash) ainsi que de boissons en édition limitée, comme un pétillant naturel rosé sans alcool, au profil aromatique sec et légèrement acidulé.
Osan
Après des années de recherches et de tests, le chef belge doublement étoilé Sang Hoon Degeimbre (L’Air du Temps) a réalisé son rêve de mettre sur le marché trois macérations bienfaisantes afin que tou.te.s puissent être inclus.e.s aux plaisirs de la table avec ou sans alcool. OSAN est une boisson sans alcool 100% naturelle. Issue du terroir belge, elle est idéale pour accompagner le repas de l’apéritif au dessert. Sans alcool, sans colorant, sans conservateur et sans sucre raffiné, elle se distingue des autres boissons non alcoolisées par son processus de production unique. Toutes les qualités organoleptiques des ingrédients biologiques sont extraites au maximum par un procédé technologique pour offrir une véritable expérience gustative. Comme il est basé sur des produits végétaux et floraux biologiques et de saison, le goût Osan varie légèrement de récolte en récolte, d’année en année. Il est décliné en 3 familles gustatives qui correspondent aux 3 grandes familles du vin et s’accordent aux mets de la même manière : « comme un blanc, comme un rosé, comme un rouge ».
La récolte 2023 offre une VC (Verveine – Curcuma) qui allie les notes d’agrumes de la verveine à celles chaudes et épicées du curcuma. Ce Pairing «blanc» s’accorde parfaitement aux poissons, fruits de mer, volailles, fromage et fritures,.. La SB (Shiso rouge – Basilic pourpre) allie l’acidité et la fraîcheur du shiso avec les notes parfumées du basilic. Ce Pairing “rosé” s’allie aux salades, charcuteries, poissons grillés et en apéro,… Et enfin, la BM (Betterave rouge – mûre – cassis – poivre – genévrier – girofle) combine la profondeur de la betterave avec une mûre juteuse et des épices pour la longueur. Un pairing «rouge» qui matche avec des viandes grillées, pasta, champignons et avocats,…
De nouvelles habitudes de consommation Selon l’étude du Crédoc : on constate une chute de la consommation d’alcool entre 2003 et 2016 sur toutes les tranches d’âge et en particulier chez les plus jeunes. L’étude IWSR (2022) démontre que l’augmentation des ventes de boissons sans alcool d’un nouveau genre n’est pas exclusivement du fait des personnes décidant de s’abstenir à 100% mais plutôt de celles qui décident d’adopter de nouvelles habitudes (soit de supprimer l’alcool à certaines occasions : lunch NA et/ou mois sans alcool/soit de modérer la prise d’alcool lors d’un même repas). |