Entre cinéma et restauration, Lakhdar Lakhdar-Hamina a construit un parcours singulier, guidé par son flair, son sens du récit et sa capacité à capter l’air du temps. La rencontre déterminante avec Lauriane De Paoli en 2021 marque un tournant : ensemble, ils insufflent une nouvelle esthétique à l’Horeca bruxellois, mêlant vision, design et sens du détail.
Par Françoise Bouzin
Né à Alger, Lakhdar quitte sa terre natale pour la Suisse, puis Paris et Bruxelles, où son père gère les achats de gaz naturel entre la Belgique et l’Algérie. Il retournera à Alger pour y apprendre l’arabe et l’histoire de son pays au travers des récits et du vécu de ses grands-parents. « Cela m’a percuté et m’a permis d’approcher ma double culture ». Depuis 40 ans, il a posé ses valises à Bruxelles. C’est là qu’il fait ses premières armes dans le monde du cinéma, en suivant une formation à l’école Parallax et en enchaînant rapidement les tournages comme régisseur et assistant de production. « J’ai grandi dans ce milieu car plusieurs membres de ma famille y travaillent. Mon oncle Mohammed Lakhdar-Hamina – producteur, réalisateur, scénariste- a été Caméra d’Or à Cannes en 1968 puis Palme d’Or avec ‘Chroniques des années de braise’. J’ai ensuite fait des rencontres dont celle avec Michaël Goldberg – producteur de Michael Blanco – avec lequel j’ai tourné ‘Pour une poignée de palmiers’ un court métrage qui raconte l’histoire de 4 Bruxellois qui débarquent à Cannes à la recherche de leur identité ».
Mais le destin l’appelle ailleurs. Ses parents acquièrent un hôtel face au Bois de la Cambre. Au fil des mois, le Lloyd Georges se transforme en restaurant grâce à une rencontre décisive avec un chef. Surnommé le « Café de l’Hôtel », il se mue peu à peu en lieu de vie nocturne où viennent se produire régulièrement des DJ.
L’appel du monde de la restauration
C’est dans ce microcosme gastronomique où tournages et restauration se côtoient que Lakhdar se forge un réseau. Les professionnels du secteur repèrent son flair et lui proposent de nouveaux projets. Il rencontre alors Joseph Giamorcarro avec qui il ouvre Mano a Mano, le premier restaurant italien de Bruxelles misant sur des produits de qualité. L’identité visuelle y est innovante : finie l’image vieillissante du serveur italien austère, place à une esthétique plus moderne et plus sexy.
De cette collaboration naîtront d’autres adresses phares : Vini Cucina à Uccle, puis Un Peu Beaucoup, avant que Lakhdar ne revende ses parts en 2004 pour renouer avec sa première passion, le cinéma. Mais l’appel de la restauration est trop fort. Son retour s’opère par le biais du terroir et du vin. Il se spécialise dans le recrutement et la motivation d’équipes, participant au développement d’adresses emblématiques comme Caffè al Dente, Gazzetta et le Selecto – pour lequel on lui donne carte blanche dans sa mission de consultance.
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La synergie avec Lauriane De Paoli : Un duo complémentaire
En 2021, un tournant majeur s’opère avec la rencontre de Lauriane De Paoli, avec laquelle il travaille sur un projet commun, Met Plaizier (Coffee et concept store). Avec son background – elle a géré la collection Haute Couture Natan –, elle apporte à leur duo un regard affûté sur le design et l’identité dans l’agencement des restaurants.
Ensemble, ils ont créé, entre 2021 et aujourd’hui, Verigoud, Malmö, Fight Club, La Gazzosa et La Stazione Alimentari, partageant leurs talents respectifs. Un parfait équilibre entre Lakhdar qui impulse la direction artistique et sa vision du marketing tandis que Lauriane veille à l’identité visuelle et à l’équilibre des concepts.
Je suis intuitif et sanguin et Lauriane incarne la rigueur, la douceur et la stabilité.
Cette association se structure autour d’une offre de consultance complète, allant de la création d’établissements à leur repositionnement : accompagnement stratégique, sourcing des produits, identité visuelle, aménagement des espaces, jusqu’à la communication et l’optimisation des réseaux sociaux.
En parallèle, Lauriane coordonne l’Executive Master Food Design à l’Académie Royale des Beaux-Arts, explorant l’alimentation sous un prisme artistique : photographie culinaire, branding, impression 3D, durabilité… Un pont entre la gastronomie et l’esthétique qui résonne avec la philosophie de Lakhdar.
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Une Nouvelle Vague en marche
Le marché Horeca bruxellois évolue très rapidement. « On observe l’émergence d’une nouvelle génération de restaurateur.rice.s. C’est un peu comme la Nouvelle Vague que l’on a connue au cinéma. Ils ont entre 25 et 35 ans, ils sont audacieux et multitâches. Ils sont comme des coureurs de 1500m, ultra-rapides et efficaces, mais peut-être pas forcément taillés pour le marathon », analyse-t-il. Bruxelles demeure une terre propice aux entrepreneurs du secteur, malgré des obstacles grandissants : coûts des loyers, des matériaux de cuisine, augmentation des accises et des charges sociales. Quant aux urgences pour permettre au secteur de se développer : « L’accompagnement financier est crucial. Diminuer la TVA et les charges sociales pourrait vraiment aider les entrepreneurs à s’installer sur le long terme », plaide-t-il.